Newsletter n°2 : Xénobiotiques et allaitement maternel : de quoi s’agit-il ?

Newsletter n°2 : Xénobiotiques et allaitement maternel : de quoi s’agit-il ?
Xénobiotiques et allaitement maternel
  • 22-05-23

D’après « État des connaissances sur les contaminants dans le lait maternel » R. Serreau, V. Rigourd, B. Pommeret Dans Revue de Médecine Périnatale 2017/3  (Vol. 9), pages 146 à 156 Éditions Lavoisier
ISSN 2678-6524 DOI DOI 10.1007/s12611-017-0422-z
 
Lire l’article original en entier : cairn.info/revue-de-medecine-perinatale-2017-3-page-146.htm#:~:text=Malgré%20une%20exposition%20plus%20importante,au%20niveau%20du%20développement%20cognitif.
 
Les effets de l’allaitement maternel sont multiples en termes de prévention de pathologies infectieuses, de certaines pathologies métaboliques et de certains cancers, ainsi que dans le développement neurocognitif du futur enfant, voire du futur adulte [1].
Les xénobiotiques sont des molécules d’origine étrangère à l’organisme, présente exceptionnellement dans l’organisme et qui n’est ni un substrat, ni un produit habituel des réactions métaboliques comme le sont les médicaments ou toutes autres substances (polluants, drogues…). Un grand nombre de toxiques, stockés dans l’organisme de la mère, est relargué de manière très importante via les processus de lactation. Doit-on craindre la présence de xénobiotiques dans le lait de femme et donc la survenue d’effets secondaires ?
Pour certains enfants, l’exposition aux toxiques environnementaux va commencer in utero et se poursuivre en post-natal. Une exposition anténatale est souvent à l’origine des effets indésirables des xénobiotiques. L’allaitement maternel peut être une source de contamination. Un grand nombre de toxiques, stockés dans l’organisme de la mère, est relargué de manière très importante via les processus de lactation. Ainsi, la mesure des teneurs en polluants dans le lait permet d’obtenir une estimation du niveau de contamination des mères, et donc de leur exposition et de la présence de ces contaminants dans leur environnement de vie [2]. La femme allaitante et l’enfant allaité sont donc des populations cibles à risque. Cette matrice permet également d’estimer l’exposition des nourrissons allaités à ces substances. Les premiers stades de la vie, c’est-à-dire la période fœtale et le début de la période post-natale, correspondraient à des périodes de susceptibilité accrue. En effet, les voies métaboliques sont immatures, suggérant une efficacité différente des systèmes de métabolisation et détoxification. De plus, les processus de développement en cours durant cette période seraient plus facilement perturbés et les nourrissons sont alors exposés à de plus fortes doses de polluants (le rapport quantité consommée sur poids est plus élevé chez le nourrisson que chez l’adulte) [3].
Les données publiées ont donné lieu à une liste de 17 polluants de l’environnement susceptibles de se retrouver dans le lait maternel et a permis d’établir une classification du risque en cas d’allaitement maternel. À ce jour, il existe peu de données sur les contaminants du lait maternel. Or en France, depuis 1972, le taux d’initiation de l’allaitement maternel est en augmentation et en 2012, il a concerné 65 % des nouveau-nés [4]. La prise en compte des enfants allaités est donc indispensable pour obtenir une vision globale de l’exposition des enfants de moins de trois ans aux différents contaminants présents dans l’environnement. À l’heure actuelle, les données françaises sur les teneurs de certaines de ces substances dans le lait maternel sont encore rares. Cependant, les récentes études internationales ont mis en évidence des concentrations en xénobiotiques dans le lait maternel pouvant conduire à un risque sanitaire réel pour les nourrissons. Toutefois, ces données sont parfois contradictoires.
 
Prenons un exemple :
Les polychlorobiphényles (PCB), regroupant les polychlorodibenzo-p-dioxines (PCDD) (Fréquemment dénommés « dioxines »), polychlorodibenzo-furanes (PCDF), appartiennent à la famille des polluants organiques persistants (POP). Ils sont impliqués et/ou issus de différents processus chimiques ou industriels, tels que les activités liées à la métallurgie, fonderie, fabrication de pâte à papiers, herbicides, pesticides, incinération de déchets. Ces substances chimiques ont la particularité d’être très stables et résistantes à la décomposition biologique. Une fois émises, elles peuvent parcourir de très longues distances par les airs [5]. Elles viennent ensuite se déposer dans les sols, eau, terre et finissent par s’accumuler dans nos aliments [6].
Ce sont des produits lipophiles qui s’accumulent dans notre organisme et en particulier dans nos tissus riches en graisses. Du fait de sa richesse en lipides, le lait maternel est donc une matrice de choix pour quantifier le taux de PCDD et PCDF.
Les facteurs influençant le passage dans le lait maternel sont à la fois liés à l’exposition de la mère et de l’enfant, et aussi aux propriétés physicochimiques du composé (poids moléculaire, degré d’ionisation, polarité?, affinité pour les protéines et caractère lipophile de la molécule). Mais le passage des PCDD et PCDF est aussi fonction de la composition du lait maternel qui évolue en fonction du stade de la lactation, de l’état nutritionnel de la mère, du moment de la journée, de la teneur en protéines du lait, variable d’une femme à l’autre et d’un allaitement à l’autre chez une même femme [6-12].
Bien d’autres facteurs sont à prendre en considération afin d’étudier l’exposition des enfants allaités aux xénobiotiques tels que ceux pris en exemples. Toutefois, il est important de noter que les résultats des tests psychomoteurs des enfants allaités, dont les mères avaient été exposés à ces produits, n’étaient pas différents de ceux des enfants du groupe témoin (nourris au lait artificiel). Sur cette même population d’enfants, le développement neurologique et cognitif a été évalué à 18, 42 mois et six ans [13]. Malgré une exposition plus importante aux PCB et dioxines dans le lait maternel que dans le lait artificiel, l’étude a observé un effet bénéfique de l’allaitement maternel à 18 mois, 42 mois et six ans. Ces effets ont été significatifs au niveau psychomoteur ainsi qu’au niveau du développement cognitif.
Ainsi, malgré la détection de PCB, PCDD et PCDF dans le lait maternel, et en prenant en compte la balance bénéfice/risque, il conviendrait d’encourager et de faciliter l’allaitement maternel au vu des effets évidents du lait maternel pour la santé en générale et pour la croissance du nourrisson [14].
 
En conclusion, à ce jour, l’allaitement maternel doit être favorisé malgré un environnement pollué et le risque de contamination car il apporte en plus de sa qualité nutritionnelle unique, un effet « protecteur » sur l’enfant via ses propriétés biologiques spécifiques. En revanche, il est essentiel de conseiller la population et surtout les sujets à risque tels que les femmes enceintes et allaitantes, sur leur alimentation et leur environnement proche. Ceci devrait être complété par une politique de santé publique active visant à limiter l’émission de xénobiotiques dans l’environnement et à une formation des professionnels sur le sujet. De même, nous pourrions nous interroger sur le passage dans le lait des médicaments et des drogues telles que : alcool, tabac, cannabis ou autres…

Auteurs : Céline Dalla Lana et Raphaël Serreau

1. Mosca F, Gianni ML (2017) Human milk: composition and health benefits. Pediatr Med Chir 39:155
2. Lehmann GM, Verner MA, Luukinen B, et al (2014) Improving the risk assessment of lipophilic persistent environmental chemicals in breast milk. Crit RevToxicol 44:600–17
3. Landrigan PJ, Kimmel CA, Correa A, et al (2004) Children’s health and the environment: public health issues and challenges for risk assessment. Environ Health Perspect 112:257–65
4. Salanave B, de Launay C, Boudet-Berquier J, et al (2016) Ali-mentation des nourrissons pendant leur première année de vie. Résultats de l’étude Epifane, 2012-2013. http://invs.santepubli-quefrance.fr/Publications-et-outils/Rapports-et-syntheses/Mala-
dies-chroniques-et-traumatismes/2016/Alimentation-des-nourris-sons-pendant-leur-premiere-annee-de-vie
5. Agrell C, ter Schure AF, Sveder J, et al (2004) Polybrominated-diphenylethers (PBDEs) at a solid waste incineration plant. Atmospheric Environment 38:5139–48
6. Anderson HA, Wolff MS (2000) Environmental contaminants in human milk. J Expo Anal Environ Epidemiol 200:755–60
7. Trnovec T, Jusko TA, Šov?cíková E, et al (2013) Relative Effect Potency Estimates of Dioxin-like Activity for Dioxins, Furans, and Dioxin-like PCBs in Adults Based on Two Thyroid Outcomes, Environ Health Perspect 121:886–929. Langer P (2010) The impacts of organochlorines and other per-sistent pollutants on thyroid and metabolic health. Front Neu-roendocrinol 31:497–518
8. Langer P (2010) The impacts of organochlorines and other per-sistent pollutants on thyroid and metabolic health. Front Neuroendocrinol 31:497–518
9. Adamo C, Antignac JP, Auger J, et al (2011) Expertise collective INSERM. Reproduction et Environnement. Paris: Inserm, 713 p 11. 10. Fang J, Nyberg E, Bignert A, et al (2013) Temporal trends of polychlorinated dibenzo-p-dioxins and dibenzofurans and dioxin-like polychlorinated biphenyls in mothers’ milk from Sweden, 1972–2011. Environ Int 60:224–31
11. Wittsiepe J, Fürst P, Schrey P, et al (2007) PCDD/F and dioxin-like PCB in human blood and milk from German mothers. Chemosphere 67:S286–94
12. Todaka I, Hori K, Abe Y, et al (2010) Relationship between the concentrations of polychlorinated dibenzo-p-dioxins, polychlorinated dibenzofurans, and polychlorinated biphenyls in maternal blood and those in breast milk Chemosphere 78:185–92
13. Boersma ER, Lanting CL (2000) Environmental exposure to polychlorinated biphenyls (PCBs) and dioxins. Consequences for long term neurological and cognitive development of the child lactation. Adv Exp Med Biol 478:271–87
14. Van den Berg M, Kypke K, Kotz A, et al (2017)WHO/UNEP global surveys of PCDDs, PCDFs, PCBs and DDTs in human milk and benefit-risk evaluation of breastfeeding. Arch Toxicol 91:83–96